L’intégration des jumeaux numériques dans la gestion des équipements sous pression révolutionne le suivi en temps réel de leur état de santé. Grâce à l’intelligence artificielle et aux objets connectés, ces technologies permettent non seulement de prévenir les défaillances mais aussi d’optimiser la performance des installations tout en garantissant un respect strict des normes de sécurité. Rencontre avec Mohamed BENNEBACH, Responsable R&D Essais et Simulation Multiphysiques au CETIM.
Projet JUNAP (Jumeau Numérique d’Appareils à Pression), dans le cadre d’un appel à projet de la Région Hauts de France, et dont les partenaires sont la Région, Cetim, IMT Nord Europe et STCN. ©Cetim
Le 12 décembre 2024, le CETIM organisait une conférence sur le thème « Le jumeau numérique s’invite dans les appareils à pression ». Cet événement a présenté les technologies innovantes qui transforment le domaine des équipements sous pression, en mettant en lumière le rôle des jumeaux numériques, de l’intelligence artificielle (IA) et des objets connectés industriels (IIOT).
Ces outils révolutionnaires permettent d’optimiser le déploiement des capteurs sur les appareils à pression et d’appliquer des méthodologies avancées pour évaluer en temps réel l’intégrité de ces structures, anticiper les défaillances grâce à la maintenance prédictive, et améliorer la conception et l’exploitation des équipements de nouvelle génération.
Ce fut l’occasion d’échanger plus en détail sur le sujet avec Mohamed BENNEBACH, Responsable R&D Essais et Simulation Multiphysiques au CETIM.
Mohamed BENNEBACH : L’intégration d’un ou plusieurs jumeaux numériques dans le suivi des équipements sous pression permet de répondre à un point de l’Arrêté ministériel du 20 novembre 2017 relatif au suivi en service des équipements sous pression et des récipients à pression simple, dans le but d’améliorer la sécurité, l’obligation de suivi incluant la tenue de dossier d’exploitation et la réalisation de contrôles réguliers.
Les appareils à pression sont des équipements destinés à la production, stockage ou transport de produits sous une pression supérieure à la pression atmosphérique. Ils sont présents, tant dans notre environnement quotidien que dans le milieu industriel. Dans l’industrie, en particulier dans les secteurs de l’énergie, de la chimie ou de l’agroalimentaire, ces équipements sont nombreux et figurent parmi les principaux facteurs de risque pour l’homme, l’environnement et les infrastructures. Par conséquent, leur conception, fabrication et exploitation sont soumises à des règles strictes, avec des exigences de sécurité élevées.
Les modes de dégradation possibles pour des appareils à pression sont nombreux (corrosion, fissuration, desserrage d’assemblages, etc.). Ils peuvent survenir en conditions normales de fonctionnement ou sous l’effet de sollicitations exceptionnelles et conduire prématurément à la ruine. La surveillance et la requalification de ces appareils ont pour but de prévenir l’occurrence de tels évènements par l’exécution de contrôles périodiques, imposés par la réglementation en fonction de la classe de l’appareil, permettant de déceler les altérations avant qu’elles ne deviennent dangereuses. Cependant, cette approche classique de maintenance qu’elle soit curative ou préventive est couteuse (cout élevé de la prestation, arrêt d’exploitation) et ne permet pas de garantir un niveau élevé de sécurité en permanence faute de surveillance en temps réel.
Il est alors impératif de développer des solutions novatrices pour d’une part la conception et la fabrication d’appareils à pression les plus fiables, durables et rentables possibles, et d’autre part le suivi à distance, en continu et en temps réel de leur état de santé.
Le jumeau numérique est un outil qui permet de répondre à ces défis. Selon l’Alliance Industrie du Futur, un Jumeau Numérique est un ensemble organisé de modèles numériques représentant une entité du monde réel pour répondre à des problématiques et des usages spécifiques. Le Jumeau Numérique est mis à jour par rapport au réel, à une fréquence et une précision adaptées à ses problématiques et à ses usages. Il est doté d’outils d’exploitation avancés permettant notamment de comprendre, analyser, prédire, optimiser le fonctionnement et le pilotage de l’entité réelle.
Dans le domaine des ESP (Equiements Sous Pression), grâce au jumeau numérique, couplé aux technologies d’objets connectés (IOT) et d’intelligence artificielle, il devient possible:
Production utilisant des jumeaux numériques pour simuler les processus de production, réduisant ainsi les erreurs avant la fabrication “physique”
Précisons tout d’abord que le jumeau numérique n’est pas une fin en soi mais un moyen d’atteindre des objectifs et de répondre à des problématiques préalablement identifiées. Les données constituent un élément pivot, faisant le lien entre le clone virtuel et l’entité réelle, au travers de capteurs connectés, qui vont récolter ces données, les transmettre dans une base outillée où le clone virtuel va venir les récupérer et s’en nourrir pour alimenter les modèles permettant de répondre à ces objectifs et problématiques. Ainsi, les types de données collectées et capteurs mis en œuvre dépendent des attendus du jumeau numérique.
À titre d’exemple, dans le cadre du projet JUNAP (JUmeau Numérique d’un Appareil à Pression), lauréat d’un appel à projets industrie du Futur de la région Hauts de France, le Cetim a développé un jumeau numérique d’un réacteur de polymérisation avec pour objectif la surveillance de l’intégrité structurelle de l’équipement, tout particulièrement dans des zones critiques correspondant à des soudures. La mise en œuvre de ce jumeau numérique a nécessité une phase de définition et déploiement optimisé de capteurs pour un appareil à pression intelligent et connecté. Ont ainsi été utilisées : des fibres optiques à réseaux de Bragg, des jauges de déformation, des capteurs d’émission acoustique, des capteurs de pression, des thermocouples. Des méthodes numériques faisant appel à l’IA ont été utilisées pour : optimiser le nombre et l’emplacement des capteurs ; construire des champs complets (en tout point) à partir d’un nombre restreint de mesures et de simulations numériques; définir des indicateurs d’endommagement permettant le suivi continu en service du comportement de l’équipement.
Dans le cas d’exemple de JUNAP, le suivi de l’endommagement en service repose sur l’hybridation de modèles basés sur la physique et de modèles basés sur les données (IA). Les premiers visent à modéliser aussi fidèlement que possible le comportement mécanique de l’ESP, ils sont calibrés et enrichis par les données expérimentales pour un jumeau numérique évolutif et anticipatif. Les seconds analysent les données en temps réel, apportant plus de réactivité, pour définir des indicateurs de fonctionnement, évaluer des dérives et mettre en place des alertes de premier niveau facilitant la prise de décision. Cette hybridation a permis la construction d’un jumeau numérique réactif, anticipatif et prédictif.
Dans le cadre du développement des codes de construction des appareils à pression où le Cetim contribue depuis des décennies, un autre exemple d’usage de l’IA concerne la partie dimensionnement de certaines structures et plus précisément le développement de règles simplifiées (formules analytiques) sur la base de données par essais et/ou par simulations éléments finis. Concrètement il a été possible d’optimiser les règles actuelles du CODAP ® (Code des Appareils à Pression) pour le dimensionnement du raccordement du fond d’un appareil posé sur jupe et d’élaborer de nouvelles règles de vérification de la tenue de ligaments entre tubulures voisines dans des régions critiques d’équipements sous pression.
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