Nées de la prise de conscience d’une nécessité de préserver notre environnement et le climat, différentes transitions énergétiques s’opèrent partout dans le monde. Accompagnés de nouvelles technologies, ces changements passent par une limitation des émissions de CO2 et la décarbonation de nos usages énergétiques habituels. L’utilisation accrue d’énergies renouvelables est l’une des clés de la tenue de ces objectifs. Cette énergie, souvent intermittente, ne peut être efficace qu’accompagné d’un système de stockage permettant son utilisation à la demande. Le stockage de l’énergie est un levier pour la transition énergétique, au carrefour d’enjeux techniques, sociaux et industriels.
Un dossier en trois parties: la première montrera l’importance du stockage de l’énergie dans la transition énergétique et présentera les différentes technologies associées. Dans notre prochaine édition,nous ferons le point sur la recherche française dans ce domaine. Nous finirons avec une troisième partie qui abordera l’aspect économique induit par le stockage de l’énergie et le coût des futurs systèmes.
Dossier réalisé par Ismaël BERKOUN et Alain LUNDAHL / Date de publication initiale: 20 février 2018
La transition énergétique. Cette grande expression dont tout le monde parle, mais dont peu connaisse réellement l’étendue des applications. Cette longue période doit permettre à notre de système énergétique actuel, basé grandement sur l’énergie fossile et nucléaire, de devenir un système où les énergies renouvelables seront prépondérantes, tout en réussissant à alimenter l’ensemble de la société, depuis les grandes industries jusqu’à la maison familiale.
Il est acquis aujourd’hui pour les grands acteurs publics internationaux, que cette évolution est une nécessité, un enjeu aussi bien pour l’humanité que pour la sauvegarde de la nature et de la planète. Pour preuves, la récente loi pour la transition énergétique et la croissance verte, le Paquet Energie-Climat de la Commission européenne, les Accords de Paris…
Tous les domaines de la société sont mobilisés pour accompagner cette transition. Dans le domaine du diagnostic d’abord, où les climatologues sont chargés d’établir les faits et les prédictions concernant le changement climatique. En économie également, où les scientifiques calculent les investissements nécessaires pour tenir les objectifs climatiques internationaux. Ou encore dans la recherche, où les innovations technologiques nécessaires à un avenir plus « vert » sont en avancées perpétuelles.
En France, les organismes de recherche et les universités jouent un rôle majeur. Ils dotent la société civile et les acteurs économiques des outils et des technologies capables d’accompagner la mutation de nos usages énergétiques, tout en assurant la préservation de notre environnement pour les générations futures. Ces nouvelles technologies ont bénéficié de nombreuses années de recherche, mais de nouvelles ruptures technologiques seront nécessaires pour atteindre la neutralité carbone visée en 2050.
C’est dans ce contexte qu’entre le grand défi des institutions de recherche et les industriels : le stockage de l’énergie, que ce soit sous sa forme électrique, thermique, mécanique, où d’hydrogène. Car sans prise en compte de ce paramètre essentiel, on ne pourra pas gérer la montée en puissance des énergies renouvelables.
Le principe de stockage de l’énergie consiste à préserver une quantité d’énergie pour une utilisation ultérieure. L’énergie peut être stockée sous la forme d’énergie mécanique (hydraulique et air comprimé), électrique, thermique, chimique et électrochimique.
La production d’électricité par procédé fossile et nucléaire est flexible et maitrisable, mais est responsable de 40 % des émissions de CO2 dans le monde, quand l’utilisation d’énergie renouvelable n’en produit quasiment pas. En conséquence, le stockage permet d’abaisser la proportion de CO2, en intégrant mieux les énergies renouvelables au mix énergétique, souvent décentralisée et non programmable. En effet, l’énergie solaire ou éolienne est intermittente. Mettre “de côté” l’électricité produite limite le recours aux centrales thermiques dont la puissance plus flexible est modulable. Cela permet aussi d’adapter l’utilisation à la demande, notamment lors des pics de consommations.
Le stockage de l’énergie répond aux besoins des bâtiments ou d’un territoire, tant aux industries qu’aux particuliers, et qu’ils soient raccordés à un réseau ou isolés, comme les îles. L’enjeu : pallier la variabilité de la production des énergies renouvelables et diminuer les émissions de CO2.
Les besoins en stockage d’énergie pour la mobilité se situent dans le secteur des transports, le plus émetteur de CO2 en France.
Le stockage de l’énergie est aujourd’hui assuré par une palette large de technologies déjà exploitée à l’échelle industrielle. En laboratoire ou sur des plateformes expérimentales, les scientifiques travaillent à les optimiser et améliorer leurs performances énergétiques, environnementales, économiques… Chaque technologie ainsi développée propose des caractéristiques variées : capacité énergétique, temps de charge et de décharge, coût… Ces solutions sont ainsi dimensionnées pour un besoin précis ou au contraire transverses à plusieurs domaines.
Principe : C’est la méthode utilisée dans les batteries : la modification de la structure des molécules par une réaction électrochimique génèrent un flux d’ions entre les 2 électrodes (anode>cathode) et donc génère un courant. Les matériaux traditionnels comme le plomb des batteries auto n’ont que des capacités faibles de stockage, mais des matériaux apparaissent régulièrement depuis l’invention de la pile par Volta.
La plus utilisée est la technologie Li-on, aux nombreux avantages : une haute densité énergétique, un bon rendement, une durée de vie et un nombre de cycles charge/décharge intéressant. Son inconvénient est du côté du coût ou de la sécurité.
D’autres batteries utilisent des réactions d’oxydoréduction. Ils présentent une haute modularité, une large plage de ratio puissance/énergie, une durée de vie bonne une faible auto décharge. Nous en parlerons plus longuement dans l’article à venir sur l’état de la recherche.
Avantages/applications: Le stockage par voie électrochimique, du fait de sa flexibilité de dimensionnement, s’impose dans les applications de faible puissance/énergie. Il répond ainsi aussi bien aux besoins de l’électronique portable (l’essentiel du marché actuel du Li-on), qu’à la propulsion pour le transport.
Principes : Le principe de base repose sur celui d’un condensateur mais il y associe de l’électrochimie au travers d’un électrolyte comme dans une batterie et des électrodes poreuses en carbone. Rappelons le principe de base du condensateur : 2 électrodes face à face isolées l’une de l’autre et de grande surface sont séparées par une distance très faible. Cet espace est rempli d’air ou d’une substance diélectrique (isolante).
Les électrodes sont si proches que si l’on connecte l’une au « plus » l’autre au « moins » d’un circuit, les charges Plus et Moins face à face s’attirent comme 2 aimants mais ne peuvent se réunir du fait du diélectrique. On a donc stocké de l’énergie (chargé le condensateur). On peut consommer cette énergie comme une batterie en se connectant sur ses 2 électrodes.
La recherche récente a permis d’augmenter de façon considérable la capacité par rapport au condensateur de base (La densité d’énergie) et ce, non seulement par la taille mais aussi par des effets électrochimiques liés au matériau des électrodes (carbone poreux) et de l’électrolyte. Les recherches sont très actives sur cette technologie encore peu industrialisée ; nous y reviendrons.
Avantages/applications: La grande durée de vie (plusieurs millions de cycles) et surtout son temps de charge trés court sont ses principaux avantages. Son coût et sa densité d’énergie limités (actuellement) sont ses principaux freins. On n’est par contre pratiquement pas limité en courant de charge. Il peut donc stocker très rapidement une énergie « à récupérer très vite » par exemple celle d’une voiture au freinage. (Beaucoup d’énergie en peu de temps). Les supercondensateurs actuels ont donc surtout été développés pour une utilisation dans le domaine des transports routiers.
Principe : L’électricité la permet de produire, via un électrolyseur, de l’hydrogène. Le gaz est ensuite stocké sous forme liquide, solide ou gazeuse avant d’être consommé dans une pile à combustible ou comme carburant pour un moteur ou une turbine.
Dans le cas de la pile à combustible, il est recombiné à l’oxygène et va ainsi produire de l’eau et de l’électricité.
N’existant pas dans la nature à l’état libre, l’hydrogène est produit en le dissociant des atomes avec lequel il est combiné. 60 millions de tonnes d’hydrogène sont produites chaque année dans le monde, à partir de matières fossiles pour la grande majorité, pour des applications industrielles et non directement liées à l’approvisionnement énergétique.
Quand il est produit par électrolyse de l’eau à partir de surplus d’électricité, on parle de Power-To-Gas, car il permet de créer une passerelle entre le monde des électrons et celui du gaz. Il peut être ensuite utilisé pour fournir de l’électricité, via une pile à combustible.
Principe : une Station de Transfert d’Energie par Pompage (STEP) comprend deux retenues d’eau (Une réserve haute, une réserve basse) équipées de turbines/pompes. Le point important est que celles-ci peuvent fonctionner dans les deux sens. On pompe l’eau depuis la réserve basse vers la réserve haute quand l’électricité est peu demandée, (on stocke de l’énergie potentielle) et on turbine l’eau de la réserve haute vers la réserve basse pour produire de l’électricité quand la demande est forte. Ses avantages ne sont plus à prouver : le rendement est bon, la technologie est bien maîtrisée, la durée de vie est souvent très longue (Souvent plus de 40 ans). Les inconvénients sont liés à son impact environnemental, et aux contraintes liées à l’emplacement, surtout pour les gros ouvrages.
Les barrages sont les stations les plus connues. L’utilisation à plus petite échelle sous forme de retenues collinaires est de plus en plus répandue. Les innovations encore attendues portent sur l’installation de station en souterrain, utilisant l’énergie dégagée par les marées, ou encore celle des façades maritimes. Selon EDF, on pourrait construire des STEP délivrant 5 GW sur les falaises de bord de la mer. Un projet est en cours d’étude en Guadeloupe.
Ce système de stockage est celui dont la capacité est la plus élevée dans le monde, pour environ 150 GigaWatt.
Principe : Il repose sur l’élasticité de l’air : l’air est d’abord comprimé via un système de compresseurs, à très haute pression (100 à 300 bars) pour être stocké dans un réservoir (cavités souterraines par exemple). Pour récupérer cette énergie potentielle, l’air est détendu dans une turbine qui entraîne un alternateur. Comme l’air se réchauffe pendant sa compression, la chaleur à la sortie du compresseur peut être récupérée via des échangeurs et stockée afin d’être utilisée entre autre pour réchauffer la turbine.
Cette technologie est techniquement mature, mais exige pour être efficace sa combinaison avec un système de stockage thermique. Sa mise en œuvre possède un coût très élevé et nécessite un site de stockage géologique adapté. Malgré de nombreux projets en étude dans le monde, dont des installations de deuxième génération en cours de développement en Europe, il n’existe que deux sites actifs, l’un en Allemagne pour une capacité de 280 MW et l’autre aux États unis, pour 110 MW. Ce sont des centrales dites de Huntorf.
Cette petite centrale fonctionne essentiellement en apport de pointe à l’aide d’une turbine à gaz attelée à un alternateur. En effet il ne lui faut que quelques minutes pour produire sa puissance nominale. On le sait pour qu’une turbine fournisse sa puissance optimale il faut qu’elle soit alimentée en air compressé. C’est le rôle du compresseur axial qui est à l’entrée de celle-ci sur son arbre. Cela fonctionne un peu à l’image du turbocompresseur qui gave le moteur d’une voiture en air. Mais le compresseur axial de la turbine consomme une large part de l’énergie fournie par la combustion du gaz. Un peu comme si le turbocompresseur consommait une large partie de la puissance du moteur.
Les ingénieurs ont imaginé d’alimenter la turbine en air comprimé provenant d’une source externe donc d’économiser une large part de la puissance potentielle de la turbine.
Ils ont donc réalisé des stockages géants (300 000 m3) d’air comprimé (70 bars maxi) dans des cavernes de sels souterraines (jusqu’à – 800m) qu’ils remplissent d’air à l’aide d’un compresseur lorsqu’il y a soit surproduction de courant « renouvelable » soit que le courant est particulièrement bon marché. Ils ont ainsi réalisé une installation ayant un rendement particulièrement élevé.
Principes : Tout matériau possède la capacité de stocker puis de restituer de la chaleur via un transfert thermique. Sa capacité à stocker est différente si le corps reste dans le même état ou s’il change d’état (par exemple de solide à liquide). Sa capacité à stocker est très différente dans ces 2 situations et bien plus importante lorsqu’il y a changement d’état.
- Sans changement d’état (ou de phase) : la capacité à stocker est le produit de la chaleur massique par la masse et par l’écart de température. La chaleur est alors emmagasinée dans le matériau. Pour l’eau par exemple sa chaleur massique est de 4,18 KJ/Kg (vers 0°C).
- Avec changement d’état : On parle alors de chaleur latente, généralement changement solide/liquide d’un matériau pour lequel la variation volumique est faible. Pour l’eau par exemple sa chaleur latente de fusion est de 334 KJ/Kg soit 80 fois plus que sa chaleur massique.
Le stockage de la chaleur peut aussi se faire par voie thermochimique (ou sorption) via des procédés mettant en œuvre des réactions chimiques réversibles qui permettent de séparer un produit sous l’effet d’une source de chaleur. Les deux (ou plus) composants sont alors stockés séparément sans perte thermique et la chaleur est restituée lorsqu’ils sont remis en présence en reformant le produit initial.
Cette technologie de stockage thermique recouvre une variété de technique plus ou moins aboutie.
Le stockage thermique sans changement d’état dit par chaleur sensible correspond au principe du ballon d’eau chaude, couplé à un panneau solaire thermique. En pratique industrielle, on utilise du sel fondu dont les caractéristiques thermiques et physiques sont intéressantes. Elle est déjà déployée sur plusieurs centrales solaires dans le monde. Le même système existe en version souterraine, où la chaleur est stockée soit dans un aquifère, soit dans une roche conductrice.
Le stockage thermique par exploitation de la chaleur latente de fusion utilise des matériaux dont la chaleur va entrainer le passage d’un état solide à un état liquide. Ce principe, encore peu utilisé à grande échelle.
De nouveaux matériaux ayant de forte chaleur latente et des points de fusion bas permettent de voir des espoirs de développement à grande échelle dans les prochaines années. Nous y reviendrons.
La seconde partie de ce dossier est disponible ici: le point sur la recherche française dans le domaine du stockage de l’énergie.
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