Nées de la prise de conscience d’une nécessité de préserver notre environnement et le climat, différentes transitions énergétiques s’opèrent partout dans le monde. Accompagnés de nouvelles technologies, ces changements passent par une limitation des émissions de CO2 et la décarbonation de nos usages énergétiques habituels. L’utilisation accrue d’énergies renouvelables est l’une des clés de la tenue de ces objectifs. Cette énergie, souvent intermittente, ne peut être efficace qu’accompagnée d’un système de stockage permettant son utilisation à la demande. Le stockage de l’énergie est un levier pour la transition énergétique, au carrefour d’enjeux techniques, sociaux et industriels.
Trois parties. Il y a quelques semaines, nous discutions dans une première partie de l’importance du stockage de l’énergie dans la transition énergétique les différentes technologies associées.Dans cette seconde partie, nous faisons le point sur la recherche française dans le domaine du stockage de l’énergie, en présentant quelques expérimentations en cours.
Nous finirons avec une troisième partie qui abordera l’aspect économique induit par le stockage de l’énergie et le coût des futurs systèmes.
Dossier réalisé par Ismaël BERKOUN et Alain LUNDAHL
L’Agence Internationale de l’Energie (AIE) estime que les capacités de stockage actuellement installées dans le monde s’élèvent à 150 gigawattheures, largement inférieures aux besoins actuels selon elle.
99% de cette capacité sont sous la forme de Stations de Transfert d’Energie par Pompage (STEP) ou de barrages. Les 1% restant sont les autres formes de stockage, comme les moyens thermiques (pour 3,1 GW), électrochimiques et électromécaniques 1,6 et 1,7 GW chacune).
La France possède une capacité de stockage de 4,5 GWh, via ses barrages principalement. Pour faire face à la demande grandissante des besoins stationnaires en énergie, l’association Technique Energie Environnement explique « qu’une augmentation d’au moins 2,5 GWh permettrait d’être autonome sur plusieurs jours, de mieux stabiliser l’offre et la demande sur le réseau, mais également doter les zones non interconnectées comme les iles afin qu’elles déploient massivement le renouvelable ». L’AIE rappelle qu’aux besoins d’énergie stationnaire (bâtiments, industries) s’ajoutent ceux de la mobilité décarbonée : les véhicules électriques représentants 1,5% du marché total, en croissance de plus de 25% par an.
Pour répondre aux nombreux défis énergétiques auxquels le monde fait face, la recherche française s’attaque à plusieurs fronts. Dans un premier temps, elle cherche à augmenter les performances énergétiques des solutions de stockage, comme la capacité à stocker plus d’énergie plus longtemps avec des pertes réduites. Ensuite, minimiser l’impact environnemental des technologies mobilisées, en réduisant les quantités de matériaux requis, les volumes et surfaces utilisées, le recyclage de ses composants… Enfin, l’optimisation du modèle économique associé à chaque technologie est essentielle, afin de faciliter leur démocratisation et leur essor sur le marché.
Les technologies disponibles se complètent et doivent permettre de réfléchir en termes de vecteur de stockage. Différents vecteurs (thermique, électrique, chimique) peuvent se développer en parallèle et ainsi couvrir l’ensemble des besoins. Actuellement, en laboratoire, les équipes travaillent notamment à :
– Les batteries REDOX à circulation pour un stockage de longue durée
L’IFP Énergies nouvelles étudie la solution de stockage des batteries à circulation RedOx. Des électrolytes liquides stockent l’énergie sous forme électrochimique et circulent à travers des membranes échangeuses d’ions, générant ainsi de l’électricité par une réaction d’oxydoréduction. Ces batteries présentent l’avantage de pouvoir être dimensionnées en puissance et en énergie en fonction des besoins. Elles sont également d’une grande durabilité.
L’enjeu majeur de cette recherche concerne la mise au point de nouveaux électrolytes moins coûteux et plus performant sur le plan énergétique. Le laboratoire s’intéresse donc à l’identification et la qualification d’électrolytes organiques innovants. Les travaux de l’IFPEN incluent la compréhension des mécanismes et la modélisation multiphysique et multiéchelle de la technologie, en vue de son optimisation. Un système permettant la qualification de nouvelles technologies est actuellement en test sur un microgrid installé sur le site « laboratoire » à Lyon, (Un microgrid est un réseau d’énergie intégré comprenant des charges (point de consommation) interconnectées, des points de ressources énérgétiques ainsi qu’un système de gestion de ces ressources distribuées. Ce réseau local peut fonctionner en étant connecté au réseau électrique traditionnel ou en régime « isolé »).
– L’air comprimé pour donner un nouveau souffle au stockage
L’IFPEN s’intéresse également au stockage d’énergie par air comprimé, qui permet de stocker de grandes quantités d’énergie. L’enjeu est notamment de stocker efficacement la chaleur générée par la compression de l’air, afin d’obtenir de bon rendement énergétique, et d’optimiser l’économie du système. Ces travaux s’articulent autour de trois axes :
L’hydrogène est un gaz très léger (11 fois plus léger que l’air); pour en stocker des quantités significatives au regard de l’énergie qu’on peut « en tirer » il faut réduire son volume de façon considérable.
Trois façons de régler ce problème sont connues à ce jour :
Les 2 premières formes sont bien maitrisées mais la forme cryogénique nécessite de réservoir isolé de très haute technologie et toute la chaine « cryo » bien que maîtrisée confine cette méthode à des applications à très haute valeur ajoutée comme le spatial par exemple.
La haute pression est la plus simple et celle qui convient bien aux transports terrestres (automobile entre-autre). Un réservoir de 75 litres contient environ 3 kg d’hydrogène soit une autonomie d’environ 400 km pour un véhicule léger.
La troisième la plus prometteuse est aussi la moins avancée ; elle est basée sur le fait qu’on utilise un peu certains métaux comme le magnésium comme une « éponge » à hydrogène. Les atomes d’hydrogène s’y « collent » (adsorption) ou se combinent intimement de façon réversible en hydrures. Le problème majeur est la faible quantité qu’on peut actuellement stocker (3% du poids de « l’éponge » environ actuellement). La recherche progresse assez vite et y consacre énormément de moyens, en particulier pour trouver un matériau capable d’adsorber et d’absorber une masse bien plus grande.
Le projet ABC Storage du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) constitue une réponse efficace pour optimiser le processus d’autoconsommation / autoproduction des énergies renouvelables intermittentes : ce qui n’est pas utilisé immédiatement est stocké en profondeur sous forme de chaleur.
Il s’agit d’un premier système de stockage multi-énergie maximisant l’autoproduction et l’autoconsommation de l’énergie solaire à un coût compétitif. Ce système associe dans une combinaison innovante un stockage d’énergie thermique et un stockage d’énergie électrique.
Le sous-système de stockage thermique d’électricité intègre la production d’énergie par panneaux solaires photovoltaïques, la transformation de cette énergie électrique en énergie thermique par pompe à chaleur et le stockage inter-saisonnier de l’énergie thermique par sondes géothermiques. Ce fonctionnement est basé sur la maîtrise des températures injectées dans le sous-sol pour optimiser le rendement de l’installation et doit permettre une gestion dynamique de l’injection de chaleur dans les sondes, en fonction des capacités de production d’énergie renouvelable et des besoins du bâtiment. Les taux de CO2 émis par électricité du réseau sont également pris en compte. Le démonstrateur est en cours de réalisation sur la plate-forme géothermique du BRGM. Les forages sont en voie d’achèvement.
Le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives déploie un important programme de recherche sur le stockage pour les applications stationnaires et mobiles. Il conduit en parallèle des travaux sur le développement des technologies batteries, hydrogène thermique, et sur des outils de simulation permettant de modéliser le fonctionnement de systèmes énergétiques complexes associant source de production renouvelable et systèmes de stockages. Dans le cadre de systèmes insulaires, le déploiement massif des énergies renouvelables est d’autant plus pertinent que les systèmes de production d’électricité existants sont largement basés sur des ressources fossiles carbonées coûteuses. Toutefois, ces systèmes insulaires sont caractérisés par une étendue géographique limitée, qui accentue la variabilité de la production et son impact sur la fiabilité du système électrique. Ainsi, dans ce contexte, le couplage des systèmes de stockage à cette production ENR est indispensable à leur déploiement.
Par exemple, un outil logiciel est actuellement déployé sur quatre installations en Corse, en Guyane et à La Réunion. Celui-ci collecte et analyse des données des différents composants de systèmes de stockage opérés avec une centrale photovoltaïque pour en suivre les performances au quotidien et prévoir ses éventuelles évolutions, aussi bien le vieillissement des composants que la modélisation d’amélioration dans le pilotage des installations. Un potentiel d’amélioration de 20 % de la performance globale du système « énergie renouvelable – stockage » a d’ores et déjà été démontré via l’optimisation de ce système.
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